Rencontre, sur le terrain, avec des représentant.e.s de travailleurs convaincus qu’il faut agir aussi au départ de l’entreprise.
Safran Aero Booster: les sites liégeois montrent l'exemple
Sur le zoning des Haut-Sarts (Liège), la direction de l’entreprise aéronautique Safran Aero Boosters, où environ 1500 personnes travaillent, s’est lancée en 2020 dans une démarche « biodiversité » sur les espaces verts de ses sites industriels de Herstal et de Liers.
Chantal Spinneux, déléguée CNE, et Eric Englebert, en charge de la Direction du développement durable, nous ont fait découvrir les aménagements extérieurs qui ont en trois ans pas mal modifié la physionomie du site: la création de trois mares, des prés fleuris, des prairies de fauche, l’installation de nichoirs et hôtels à insectes, la plantation de 1500 mètres de haies vives triple rang, des clôtures en bois, un sentier autour de la mare avec des panneaux didactiques et un espace de détente.
Pour mener à bien tout cela, l’entreprise s’est fait accompagner par Natagora, et plus récemment par l’équipe d’experts de Plant C qui les a conseillés et accompagnés tout au long de la démarche.
« Tout est parti du souhait de notre directeur de ne plus tondre ni traiter chimiquement nos espaces verts. Au début, lorsque nous avons arrêté de tondre nos pelouses toutes les semaines en été, certains trouvaient d’ailleurs que cela faisait négligé. On entendait dire aussi que l’entreprise allait mal et n’avait plus les moyens d’entretenir ses espaces verts » se souvient Eric Englebert. Il a donc fallu expliquer, sensibiliser le personnel, ce qui fut chose faite via la communication interne et également lors d’une journée porte ouverte aux familles du personnel.
Aujourd’hui, ces espaces verts embellissent le site et font la fierté du personnel, même si pour Chantal, il est clair qu’il y a encore beaucoup de travail de sensibilisation à faire. « En tant que représentants syndicaux, nous sommes très peu sollicités sur ces questions de biodiversité, contrairement à une autre thème proche, celui de la mobilité durable, sur lequel nous avons beaucoup de retours. Nous avions eu cependant eu quelques réactions mitigées après la période Covid, certains trouvant que ce n’était pas opportun d’investir dans des mares ou des haies alors que nous sortions à peine de la crise. Cela démontre qu’il faut davantage impliquer le personnel via la concertation sociale, pour que l’objectif et les résultats suscitent plus d’adhésion » estime-t-elle.
En 2021, l’entreprise Safran Aero Boosters a été récompensé par la labellisation « Réseau Nature » décernée par Natagora. Et surtout, l’initiative du site liégeois a inspiré la maison-mère du groupe Safran qui a décidé de l’étendre à tous ses sites. « Au final, avec nos 1500 mètres de haies, cela revient à dire que nous avons planté un mètre de haie par membre du personnel. Ce n’est pas insurmontable même pour une petite entreprise de quelques personnes de se lancer dans des projets comme celui-là. Et tous les petits pas comptent… » conclut Eric Englebert.
Skechers: de l'éco-pâturage sur les talus
Toujours sur le zoning des Haut Sarts, la société américaine de chaussures Skechers dispose d’un gros centre de distribution dont l’activité principale est la préparation des commandes et la livraison aux clients européens par transport routier. Environ 1250 personnes travaillent sur ce site bordé de talus à fortes pentes, compliqués à entretenir. Il y a cinq ans, la direction a décidé de recourir à l’éco-pâturage, notamment pour réduire les coûts d’entretien de ces espaces verts. Sur place, en compagnie de Christiane Penay, déléguée CSC Transcom, nous avons pu observer le troupeau de moutons qui fait – en mieux ! – le travail des tondeuses.
« Nos talus accueillent chaque année une douzaine de moutons qu’un fermier nous amène en avril et reprend en novembre. A côté de mon travail de cariste, je fais partie des volontaires qui ont accepté de veiller sur ces moutons. Nous sommes en tout quatre à nous relayer pour cela durant nos heures de travail. Il faut vérifier s’ils n’ont pas de blessures, vérifier les abreuvoirs, les enclos et leur donner des compléments alimentaires. C’est une occupation un peu spéciale, mais j’aime beaucoup les animaux, et ces moutons sont une source d’amusement pour le personnel ».
L’éco-pâturage a e effet de nombreux avantages écologiques : il évite la pollution des sols occasionnés par les traitements phytosanitaires et la destruction des habitats naturels par les tontes mécaniques. Autres atouts : les animaux ne tassent pas le sol, leurs déjections se dégradent vite et jouent un rôle à la fois de fertilisant et de micro-habitats pour le développement de champignons. Enfin, leurs pelages et sabots contribuent à l’équilibre de la diversité en transportant les graines.
Last but not least : un mouton qui broute ne fait pas de bruit. Cela fait une agression sonore de moins, appréciable sur ce site très fréquenté.
Infrabel: concilier biodiversité et sécurité
Depuis quelques années, Infrabel affiche néanmoins sa volonté de protéger autant que possible le capital écologique de la faune et de la flore le long des voies. Sur son site web, il est question de limitation du recours aux désherbants chimiques, de gestion des zones écologiques, de protection d’espèces végétales et animales spécifiques, de soutien de la biodiversité, etc.
Olivier Gilsoul est délégué CSC et technicien en signalisation. Il nous explique comment cette volonté se traduit concrètement dans ce secteur : « Sur la ligne à grande vitesse où je travaille - entre Louvain et Ans et Chênée et la frontière allemande – Infrabel a opté pour le pâturage des moutons à plusieurs endroits, notamment à Hoegaarden, à Awans et à Herve. L’éco-pâturage est une solution idéale pour ces talus abrupts, difficiles à entretenir. En pratique, les moutons sont loués à un éleveur et sont parqués derrière des grillages pour éviter toute collision ».
Autre exemple d’initiative menée récemment sur son lieu de travail à Ans: le placement de ruches à proximité d’un centre logistique. « L’idée qui venait d’un membre du personnel a tourné court car les excréments d’abeilles – une matière collante - salissait les véhicules de fonction et du personnel garés dans la trajectoire des ruches et l’apiculteur a fini par aller s’installer ailleurs ». Dans son secteur, Olivier a aussi connaissance de passages à gibiers réalisés lors de la réfection d’ouvrages d’arts, qui ont permis de relier des territoires coupés par les autoroutes.
Le personnel et les délégués syndicaux d’Infrabel sont-ils impliqués dans ces initiatives de préservation de la biodiversité ? « Assez peu, reconnaît-il, mais les superficies concernées sont tellement importantes qu’il est difficile de lancer des idées sans s’appuyer sur une vraie expertise. Et puis, il reste aussi des difficultés à concilier préservation de la nature et sécurité.
Depuis l’interdiction des herbicides et l’absence de réelle alternative, la végétation pousse dans tous les sens et rend parfois le travail sur les lignes compliqué. On est en même arrivés à opter malheureusement pour des sentiers en béton parallèles aux lignes pour rendre l’accès praticable et sécurisé pour le personnel. Et cela fait hélas beaucoup de béton déversé dans la nature ».