Les inondations, méga feux et autres catastrophes climatiques récentes ont imposé la lutte pour la réduction des gaz à effets de serre comme une évidence… et une urgence. Cet objectif doit maintenant se décliner de manière transversale dans l’ensemble des politiques. Mais, pour être durable, cette transition vers une économie bas carbone doit aussi et surtout être socialement juste.
La Déclaration de Politique Régionale 2019-2024 engage la Wallonie à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990 – conformément au paquet Fit for 55 de l’Union européenne –, et à la neutralité carbone à l’horizon 2050.
S’ajoute à ces contraintes de réduction des émissions de gaz à effet de serre la nécessité de rendre plus sobre notre consommation énergétique, dans un contexte de prix élevés à moyen et long terme, favorisé par les exigences de sortie des énergies fossiles notamment.
Dans un tel contexte, le maintien et la création d’emplois durables et de qualité ainsi que la formation sont les enjeux centraux d’une transformation profonde de l’économie qui aboutisse à un juste équilibre entre développement social, industriel et durabilité environnementale.
L’industrie wallonne en transition bas carbone
La transition bas carbone de l’économie wallonne doit pouvoir offrir aux secteurs industriels l’opportunité de développer de nouveaux débouchés et de créer de l’emploi. Pour cela, il est indispensable d’investir non seulement dans la technologie mais aussi et surtout dans la formation des travailleuses et travailleurs, ainsi que dans l’adaptation et l’amélioration de leurs conditions de travail. Or, le bilan de l’industrie wallonne en matière de transition énergétique est actuellement loin d’être brillant.
La Wallonie a en effet réduit des émissions de gaz à effet de serre de 38,5 % depuis 1990, soit beaucoup plus que la moyenne nationale de 26,9 %. Mais cette réduction a davantage été causée par des fermetures d’entreprises et la perte de pans industriels historiques que dans le cadre d’une transition socialement juste négociée avec l’ensemble des acteurs.
Dans ce contexte, les Accords de branche de deuxième génération 2013-2020, qui ont été prolongés jusqu’en 2023, ont été particulièrement décevants. Ces aides publiques octroyées aux secteurs industriels pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et améliorer leur efficacité énergétique ont en effet été environ trois fois supérieures aux investissements réalisés. Qui plus est, l’existence de ce dispositif ne semble pas avoir influencé significativement les décisions d’investissement des acteurs concernés par rapport au « business as usual ». Elles constituent donc de réels effets d’aubaine.
Un modèle à revoir de toute urgence
Aujourd’hui, une réforme des Accords de branche est sur la table du gouvernement wallon. L’objectif affiché est d’en rehausser l’ambition.
Alors que les Accords de deuxième génération s’adressaient directement aux fédérations industrielles qui signaient une convention avec la Région, le nouvel outil sera ouvert à l’ensemble des entreprises quelles que soient leur taille et leur forme juridique (PME, hôpitaux, etc.). Les entreprises participantes pourront se regrouper au niveau d’une fédération industrielle, d’un cluster géographique ou d’une chaîne de valeur, dans le cadre de communautés carbone. Ce nouveau modèle doit leur permettre d’être en capacité d’agir non plus seulement sur l’amélioration des processus de production mais aussi de développer de nouveaux modèles d’affaires (économie circulaire, synergies industrielles…), d’investir dans des technologies de rupture et d’élargir le périmètre des impacts pris en considération (mobilité du personnel, logistique…).
Cette évolution serait à saluer si elle ne risquait pas de constituer pas un nouveau chèque en blanc offert au secteur industriel et aux entreprises. En effet, à l’heure actuelle, rien n’est encore dit sur les conditions d’objectifs qui seraient à atteindre pour les réductions du prix de l’énergie, déjà octroyées dans le cadre des Accords de branche de deuxième génération, et qui seraient donc maintenues dans la nouvelle mouture de ces accords de branche. Ces soutiens s’ajouteraient aux nouvelles aides, qui doivent encore être définies mais qui prendront la forme de subsides « pour le passage à l’action » et qui, elles, se baseront sur des plans d’investissements concrets.
Par ailleurs, alors que la transition socialement juste se veut au centre du Plan Air Climat Energie 2030 qui vient d’être présenté aux interlocuteurs sociaux, l’emploi et la concertation sociale sont les grands absents du nouveau système qui sera pourtant financé par de l’argent public.
Enfin, l’amélioration de l’efficacité énergétique de l’industrie wallonne et la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre ne sont envisagées qu’en termes relatifs, c’est-à-dire par unité de valeur ajoutée, ceci afin de préserver l’activité et d’éviter les délocalisations. Cependant, on ne pourra, à terme, faire l’économie d’une réflexion plus globale, en termes absolus, si l’on veut atteindre les objectifs de 2030 et de 2050.
L’urgence climatique imposera inéluctablement la reconversion profonde des secteurs les plus polluants. Comment, dans ces conditions, garantir le maintien et le développement d’emplois durables et de qualité à moyen et long terme si ces transformations ne sont pas anticipées, dans le cadre d’une transition juste organisée au niveau régional, sectoriel et de l’entreprise ?
Toutes ces raisons nous obligent à rappeler que :
– Une révision du modèle de gouvernance des Accords de branche est incontournable : l’ensemble des acteurs doivent être impliqués, y compris les travailleuses et travailleurs. Les organisations syndicales doivent donc être intégrées dans les organes de gestion des futures communautés carbone et l’information des représentantes et représentants syndicaux sur les projets mis en œuvre doit être rendue obligatoire au niveau de la concertation sociale.
– Il est inacceptable que l’argent public alimente des effets d’aubaine et finance des investissements qui auraient été réalisés de toute façon. L’argent public doit servir à financer des projets qui n’auraient pu être réalisés sans aide et qui sont cohérents avec les objectifs énergétiques et climatiques wallons. Les Accords de branche doivent évoluer vers un véritable levier pour pousser les entreprises adhérentes vers la décarbonation de leurs activités et produits sur l’ensemble des chaînes de valeur, pousser les sauts technologiques et le développement de l’économie circulaire. Les aides devraient cibler en priorité les entreprises innovantes qui investissent dans les technologies de ruptures, les entreprises électro-intensives et les entreprises soumises à une concurrence internationale. Celles-ci doivent bénéficier d’un soutien particulier afin de les amener à investir dans des processus de décarbonation et de réduction de leurs consommations d’énergie, facteurs essentiels à leur pérennité.
– Les entreprises en Accords de branche doivent s’engager globalement à maintenir le niveau de l’emploi existant tant en termes de quantité que de qualité, sur les différents sites de production.
– Parallèlement aux dispositifs des Accords de branche, la vision industrielle de la Wallonie doit reposer sur le développement de feuilles de route de décarbonation par secteur fondée sur la transition juste.
Il est fondamental, en termes de scénarios prospectifs, d’envisager sérieusement et en amont la reconversion de certains secteurs dont les activités se révéleraient incompatibles avec les objectifs climatiques. Dans ce contexte, il est fondamental d’anticiper les retombées sur l’emploi et les mesures à négocier et mettre en place en termes de formation et de reconversion des travailleurs impactés. Ceci ne pourra évidemment pas se faire sans implication des organisations syndicales.
Pour conclure, les politiques régionales en général, et la révision des accords de branche en particulier, doivent viser une réindustrialisation compatible avec les objectifs climatiques, créatrice d’emplois durables et de qualité, et participant à la réduction des risques géopolitiques en termes de dépendances et de disponibilités de matières premières et de composants.
Une carte blanche publiée dans le journal Le Soir du 6 mars 2023 et signée par :
Jean-François Tamellini, secrétaire général FGTB wallonne - Sylvie Meekers, directrice générale Canopea - Marc Becker, secrétaire national CSC